Le point de vue du service public de l'audiovisuel français

Bruno Loutrel, directeur de la communication et du marketing de France Télévisions      

Bruno Loutrel

Directeur de la communication et du marketing de France Télévisions  

France Télévisions a publié au mois de juillet dernier une grande étude réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1500 Français intitulée « baromètre de la réconciliation ». Pourquoi ce choix et ce thème ?

En Europe, aux États-Unis, nos sociétés sont traversées par une polarisation, une brutalisation, voire une violence très forte du débat public. Les Français aussi ont souvent de plus en plus de mal à échanger sans s'écharper. Sur certains plateaux, le buzz et la recherche du clash ont remplacé le débat serein et construit. Sur les réseaux sociaux, les algorithmes enferment dans des « bulles de pensées » et confortent chacun dans sa propre opinion. L'altérité et le dialogue y sont devenus impossibles. Dans ce paysage médiatique radicalisé, nous sommes convaincus que le service public de la télévision joue un rôle stabilisateur et central. Nous sommes un écran où toutes les opinions peuvent s'exprimer et où les faits prennent le pas sur le fake. Cela nous engage à unir, à rassembler, à mélanger, à créer des moments d'être ensemble au-delà des appartenances de chacun. Car malgré la polarisation, il existe des espaces où les individus peuvent encore débattre sans violence et où la démocratie s'exprime. C'est pour toutes ces raisons que nous avons décidé de publier cette grande étude sur la réconciliation, réalisée avec l'Institut Bona fi dé et qui démontre justement que ces espaces sont encore possibles.      

Le service public de la télévision est constamment attaqué aujourd'hui, que ce soit en France ou à l'étranger.      

Quels sont justement les grands enseignements de cette étude ?

L'enseignement le plus important est que, contrairement à ce que laisse suggérer l'état du débat public, les Français sont en attente d'apaisement et de rassemblement. Voici rapidement trois enseignements qui confortent la contribution de France Télévisions pour créer un espace commun.

1) 62 % des Français considèrent « qu'au niveau national, ce qui les divise est plus fort que ce qui les rassemble » mais... 61 % jugent « qu'au niveau de leur ville ou village ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les divise ». Si l'espace national apparait diviseur, la réconciliation se construit autour du local. Dans le classement des acteurs qui rassemblent les Français, on compte les associations et clubs sportifs, les PME, les élus locaux et les services publics. Il y a donc encore des espaces, des lieux et acteurs de la réconciliation encore possibles. L'offre télé et radio locale du service public, autour de notre marque « Ici », est d'ailleurs celle à laquelle les Français accordent, et de loin, la plus grande confiance. C'est une pépite à laquelle les Français sont très attachés et les élections municipales l'an prochain devraient encore démontrer la force de ce lien.

2) Au sein de ces acteurs, la télévision en général, et la télévision publique en particulier, demeurent un espace pour créer du commun. Ce sont ainsi les médias généralistes, particulièrement télévisuels, et avec une forte dimension de proximité qui contribuent le plus au rassemblement du pays. France Télévisions, avec 40 % de citations, se classe en tête devant TF1, la PQR ou M6. La télévision « historique » reste donc vue comme un média que l'on partage et où l'on se retrouve. Plus largement, c'est tout le secteur public qui apparaît comme un acteur majeur de la réconciliation. France Télévisions est jugée comme le média le plus rassembleur ; La Poste comme l'entreprise la plus rassembleuse. Cela montre bien que c'est autour de certaines valeurs du service public - la cohésion, le lien et la proximité - que les Français aspirent à se retrouver aujourd'hui.

3) L'étude démontre enfin que la France n'est pas un archipel irréconciliable. Deux exemples : d'abord une très large majorité considère aujourd'hui que les fractures de genre, de générations et de territoires peuvent être surmontées. Ensuite, la liste des mots jugés les plus rassembleurs sont les suivants : solidarité, liberté, fraternité, démocratie, France, égalité, nation... en un mot, tout ce qui est au fronton de notre pacte républicain. À l'opposé, les mots qui sont jugés diviseurs renvoient au politique et aux polémiques incessantes du débat public. Dans notre enquête, Noël, les fêtes de village, la participation à des festivals et les Jeux de Paris 2024, sont les moments qui « rapprochent ou ont le plus rapproché les gens », c'est-à-dire de l'émotion collective partagée. Nous sommes perçus comme un écran partagé et regardé ensemble. Là où les réseaux enferment dans une consommation individuelle, nous offrons un espace collectif de partage et de retrouvailles.      

Concrètement, comment incarnez-vous cette volonté affichée de réconciliation et de rassemblement sur vos écrans ?

Notre mission est de partager du plaisir, de l'émotion et de faire briller les événements de la Nation. Les Jeux de Paris 2024 sont l'illustration parfaite. Ils ont été regardés par 94 % des Français... Jamais un événement n'avait rassemblé autant dans l'histoire de la télévision française. Le sport est évidemment le genre-roi, celui qui rassemble toutes les générations, dans la télé du salon ou sur l'écran géant de la place du village. À l'heure de TikTok et Snapchat, ce n'est plus si fréquent que cela. Notre portefeuille de droits sportifs permet de créer des espaces de partage accessibles à tous. Dans quelques mois, nous débuterons 2026 avec les Jeux de Milan Cortina et bien sûr Roland Garros, le rugby ou le Tour de France, qui est devenu un carton d'audience aussi chez les plus jeunes.

Récemment, la réouverture de Notre-Dame de Paris fut aussi un événement qui a rassemblé très largement le pays. De façon générale, nous cherchons à porter le roman national à la télévision, notamment lors des grandes commémorations. En octobre, nous vivrons la panthéonisation de Robert Badinter sur nos antennes, avec une offre documentaire pour retracer son histoire. En novembre, nous commémorerons les 10 ans du 13 novembre 2015. Jean Xavier de Lestrade, l'auteur et réalisateur des séries Laëtitia et Sambre, rendra hommage aux victimes avec sa nouvelle série Des Vivants. Elle retrace l'histoire des otages du Bataclan qui se sont reconstruits en formant les « potages », un cercle d'amitié pour absorber les traumatismes. C'est une série bouleversante.    

Là où les réseaux enferment dans une consommation individuelle, France Télévisions offre un espace collectif de partage et de retrouvailles

Comment vivez-vous cette situation ?

Effectivement, les attaques contre le service public audiovisuel ne sont malheureusement pas une spécificité française. Il suffit de regarder autour de nous. Aux États-Unis, l'audiovisuel public a été rayé d'un trait de plume par Donald Trump dès son arrivée au pouvoir. Plus proche de nous, il est menacé dans son indépendance en Hongrie ou en Italie. Il faut rester solides et fi ers de ce que nous apportons aux Français : de l'information certifiée pour comprendre un monde complexe ; de la connaissance pour élever le débat et aussi du plaisir avec nos séries, nos divertissements ou le sport.

Jamais les audiences du service public, que ce soit en radio ou en télévision, n'ont été aussi hautes. Jamais les Français n'ont eu autant besoin de « public ». C'est la meilleure des réponses à ceux qui nous attaquent et ce baromètre de la réconciliation nous conforte dans l'idée que nous nous faisons de notre travail : un lieu où tout le monde se sent représenté et qui unit.

Nous devons être à la hauteur de cette confiance, en nous battant pour le pluralisme, pour une information de qualité et la liberté de créer, pour un débat public qui privilégie l'argument à l'insulte. En rappelant aussi que sur le service public, l'information n'est pas une opinion. Nous ferons tout pour préserver notre liberté parce que c'est celle de tous les Français.