Daniel Baal
Président de Crédit Mutuel Alliance Fédérale et de la Fédération bancaire française
Daniel Baal, président de Crédit Mutuel Alliance Fédérale et de la Fédération bancaire française
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Président de Crédit Mutuel Alliance Fédérale et de la Fédération bancaire française
De façon générale, je préfère le terme vertueux à généreux. C'est en tout cas ce modèle qu'avec Nicolas Théry, nous avons mis en œuvre au Crédit Mutuel Alliance Fédérale et que nous avons à cœur de décrire dans ce livre. Nous sommes vraiment convaincus qu'à certaines conditions, l'entreprise peut être bénéfique à la fois pour elle-même et pour ses clients. Et aussi plus largement pour toute la société. Ce modèle existe, il fonctionne et ce que nous vivons actuellement dans notre entreprise va en ce sens.
Tout au long des pages de votre livre, vous réconciliez symboliquement l'anarchiste Proudhon et l'entreprise moderne, le client et le sociétaire, l'investissement rentable et la cause d'intérêt général, le cours et le long terme, le patron et le syndicaliste. Le mutualisme suffit-il ? Ne doit-il pas s'accompagner d'une méthode originale d'écoute et d'intégrité ?
Le mutualisme dont on se revendique est né avec Raiffeisen au XIXe siècle essentiellement pour lutter contre la misère rurale. Nous avons la conviction que ça reste aujourd'hui un formidable levier pour changer la société. Bien sûr, le monde a changé et nous devons faire vivre un mutualisme moderne. On parle beaucoup d'économie sociale et solidaire. La banque que je préside en fait partie et nous voulons contribuer à construire une société plus mutuelle. Il s'agit donc de bien combiner l'intérêt des clients qui doivent recevoir le meilleur service et le meilleur accompagnement, notre indispensable solidité, mais aussi une mise à disposition de l'intérêt collectif des bénéfices que nous réalisons.
Une entreprise à mission, c'est d'abord une entreprise. Son action doit être au cœur de sa raison sociale, de son origine, c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, accompagner l'économie, accompagner les clients, leur donner les bons conseils, leur permettre de réaliser leurs projets ; être à leurs côtés quand ils sont en difficulté. Dans un contexte concurrentiel, on doit être très performant et on n'a aucune difficulté avec ça. Cette performance, nous l'avons largement construite grâce à des process d'industrialisation, de mise en commun de moyens, de telle sorte que dans le travail de nos collaborateurs, la part administrative au quotidien soit la moins contraignante possible et laisse le champ à l'humain. Et on a fait la preuve de notre capacité à dégager du résultat - normalement plus de 4 milliards d'euros à la fin 2025, malgré un niveau d'imposition extrêmement élevé, et cela pour la troisième année consécutive. Cela nous permet de mettre ensuite cette performance au service de la société tout entière, au service du bien commun, au service de la solidarité. Ça ne marche que dans ce sens-là, j'y suis attaché. Être performants d'abord. Pour partager la valeur, il faut en créer. Et c'est avec cette valeur que nous pouvons intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans nos statuts.
Nous voulons donner une impulsion nouvelle. L'entreprise, de notre point de vue, doit davantage partager la valeur créée. Ainsi, nous affectons 15 % de notre résultat net après impôts, soit plus de 600 millions d'euros, à de l'investissement dans des causes liées à l'environnement et aux évolutions sociétales. À notre échelle, ce sont des montants déjà très conséquents. Depuis qu'on a lancé ce dividende sociétal, c'est plus d'un milliard d'euros que nous avons mobilisé. Mais on voit bien que si dix, vingt autres grandes entreprises françaises allaient dans ce sens, le bénéfice au profit du collectif serait considérable.
C'est un combat que nous menons. Nous sommes convaincus du bien-fondé de notre démarche. J'espère que dans le futur, davantage d'entreprises adopteront le statut d'entreprise à mission. En France, une dizaine de grandes entreprises seulement ont franchi le pas, pour un peu plus de 2000 entreprises au total. L'exemplarité doit d'abord venir des plus grandes entreprises. Le livre est un plaidoyer mais on utilise d'autres moyens. Nous avons par exemple organisé au mois d'avril, au Conseil économique, social et environnemental, une journée du dividende sociétal, pour en démontrer l'intérêt. Je profite des tribunes qui me sont offertes. Je parle régulièrement avec des acteurs publics, ministres, parlementaires, collaborateurs d'élus, et je mets ça en évidence. J'ai d'ailleurs rarement, voire jamais, de détracteurs ! Pourrait-on aller plus loin ? Ce serait sans doute un beau chantier législatif. Mais aujourd'hui, il y a surtout une priorité à reconstruire de la cohésion. Nous tentons de le faire et d'apporter de vraies alternatives. Rien de ce que nous proposons n'est impossible à réaliser. Nous l'avons fait ! On peut dire que c'est une forme de révolution, mais une révolution qu'on a menée, paradoxalement, dans le consensus. La première fois qu'on a parlé de l'entreprise à mission, d'un dividende sociétal, d'une affectation chaque année d'une part de notre résultat net à des opérations d'intérêt commun alors que personne ne nous l'impose, nous avons fait face en interne à nombre d'interrogations. « Comment ça ? Qu'est-ce que c'est que ce truc ? » Eh bien, ce truc est entré aujourd'hui dans nos pratiques normales.
Avec Nicolas Théry, mon prédécesseur à la tête du Crédit Mutuel Alliance, nous avons voulu rompre avec les visions habituelles et nous nous sommes battus sur ce point. Mais nous avons obtenu l'adhésion du corps social. Nos élus mutualistes, nos salariés nous ont remerciés d'avoir écrit ce livre dont ils nous disent qu'il les éclaire et leur donne un cap. De façon anecdotique, mais parlante : en mai, lorsque notre livre est paru, nous avons proposé de l'envoyer aux cent premiers de nos 70 000 salariés qui nous le demanderaient. Nous avons reçu 13 000 messages la première journée. C'est finalement la preuve d'une adhésion de nos équipes, vous ne trouvez pas ? Finalement, on va l'offrir à tous ceux qui l'ont demandé.
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