Robert Zarader
Président de Bona fidé.
Un dialogue entre Marylise Léon et Robert Zarader
Droits réservés : François Daburon
Dans un échange riche en ouverture des Entretiens de Communication publique (décembre 2024), la secrétaire générale de la CFDT et le président de l'agence Bona fidé évoquent l'intérêt général, le besoin de considération des citoyens, proposent des pistes pour réconcilier salariés et patrons, fonctionnaires et politiques, suggèrent aux élus de donner la priorité à leurs convictions plutôt qu'à leur communication. Inspirant !
Président de Bona fidé.
Secrétaire générale de la CFDT
Robert Zarader : Le président de la République a annoncé qu'il était nécessaire de nommer un gouvernement d'intérêt général. Mais qu'est-ce que c'est que l'intérêt général, selon vous ?
Marylise Léon : Nous pouvons avoir des définitions assez différentes de l'intérêt général et je donnerai celle de la CFDT. Nous ne sommes pas les seuls porteurs de l'intérêt général, mais en tant qu'acteurs de la démocratie, nous en sommes partie prenante. Première définition, en négatif : l'intérêt général n'est pas la superposition des intérêts individuels. L'intérêt général, c'est la conciliation d'intérêts divergents, d'intérêts individuels, avec la construction d'un projet de société qui permette à chacun de trouver sa place. Dès lors, un gouvernement d'intérêt général est un gouvernement qui répond aux attentes sociales. La première de ces attentes, c'est la considération. Un gouvernement d'intérêt général ne se contente pas de recevoir et de consulter, il concerte, accepte le partage du pouvoir entre démocratie sociale et politique et fait une place à la société civile.
Le Premier ministre peut s'appuyer sur nous et sur la société civile car nous sommes à la fois des bons capteurs dans la société et une force de propositions. Pour cela, il ne suffit pas de faire de grandes déclarations mais il faut prouver que la construction de consensus et de compromis est possible.
Robert Zarader : Je vais prolonger la question. Nous avons le sentiment aujourd'hui d'avoir une France largement émiettée, une France clivée. Peut-on encore réconcilier, réparer ?
Marylise Léon : En effet, il faut d'abord trouver des moyens de réparer et de réconcilier. La question n'est pas tant de savoir si c'est possible : c'est indispensable. Réparer, c'est trouver des solutions. Réconcilier, c'est faire en sorte que dans la recherche des solutions, chacun trouve sa place, ce qui ouvre sur la question de la considération. Dans mes déplacements dans des entreprises, des administrations, on ne m'a jamais autant parlé de respect et de dignité. C'était déjà quelque chose d'extrêmement fort au moment de la réforme des retraites. Cette réparation et cette réconciliation passent par le pouvoir d'agir de chacune et chacun, qui doivent trouver leur place dans la recherche des solutions. L'un des enjeux, aujourd'hui, c'est de réconcilier les citoyens avec la promesse politique de participer. Participer, oui, mais à condition que l'on aille au bout du processus. Il n'y a rien de pire que d'avoir un responsable politique qui demande aux citoyens de s'investir en leur promettant qu'il reprendra leurs propositions et qui change les règles du jeu à la fin de l'exercice. C'est délétère. L'enjeu est fort : cette réparation et cette réconciliation sont indispensables au regard de la menace que constitue l'extrême-droite aujourd'hui.
Robert Zarader : cette réparation concerne notamment l'activité économique et l'activité publique de manière générale. La CFDT est bien placée pour avoir un point de vue sur ce sujet et sur ce qu'il convient de faire. Dans un contexte où l'on fait face à de nombreux plans sociaux, parfois très durs, quelle place reste-t-il pour réconcilier les salariés et les patrons ? Mais aussi pour réconcilier les fonctionnaires avec l'État ?
Marylise Léon : L'une des façons de réconcilier est de tenir un discours de clarté, de visibilité et d'anticipation. C'est tout ce dont on a manqué dans la période que l'on vit aujourd'hui, avec des annonces extrêmement inquiétantes sur l'emploi. La situation d'Auchan, par exemple, était absolument prévisible. Voilà une entreprise, un groupe de la grande distribution, qui n'a pas remis en question son modèle économique malgré l'irruption du numérique dans les nouveaux modes de consommation.
Sans anticipation et adaptation, l'entreprise ne peut pas être pérenne. On a rencontré les mêmes difficultés avec les groupes Casino ou Carrefour. Je suis convaincue que les entreprises et les employeurs n'intègrent pas suffisamment les résistances au changement. Lorsqu'on explique les choses, lorsqu'on donne suffisamment de temps pour anticiper et adapter le monde de l'entreprise aux mutations, les salariés peuvent, non seulement être partie prenante, mais aussi être moteurs de ces transformations. Il y a aujourd'hui une immaturité du dialogue social, une difficulté des employeurs à aller sur des questions stratégiques. Or les questions sociales sont perçues comme une variable d'ajustement, ou en tout cas comme des conséquences à traiter. Dans la même logique, les organisations syndicales sont jugées utiles uniquement pour jouer un rôle de pompier, c'est-à-dire gérer les plans sociaux, et les annonces aux salariés qui peuvent être extrêmement brutales et violentes.
Robert Zarader : Et sur les acteurs de la fonction publique ?
Marylise Léon : Lorsqu'on est responsable politique et qu'on devient ministre, on doit d'abord faire preuve de beaucoup d'humilité : c'est faire injure aux agents publics de penser que l'on connaît mieux les fonctions publiques qu'eux. Malheureusement, le débat est posé à l'aune du budget et on parle des fonctions publiques comme d'un coût et non pas comme d'une richesse pour notre pays. Réconcilier employeurs publics et agents suppose de mettre les questions du travail au coeur des discussions et de la négociation politique. Cela nécessite d'abord de développer la négociation collective dans les fonctions publiques, ce qui est extrêmement compliqué. Cela n'existe pas aujourd'hui. Ensuite, remettre les questions du travail au centre, c'est sortir des dogmes. Par exemple, il y avait un agenda social défini pour travailler notamment sur les évolutions de carrière, les parcours professionnels. C'est une attente forte car c'est aujourd'hui un parcours du combattant. Nous discutons avec le ministre, nous définissons un agenda et, dans une interview donnée à un journal, nous l'entendons annoncer qu'il veut supprimer les catégories A, B, C. Cet écart entre le discours tenu et la communication n'est pas comme ça que fonctionne une négociation.
Robert Zarader : Revenons à notre contexte d'aujourd'hui, ces Entretiens de communication publique. De manière générale, il existe un système un peu complexe pour la plupart des communicants publics. Il y a des tutelles, avec des ministres, avec des cabinets ministériels, avec des gens dans les cabinets ministériels qui communiquent, et puis il y a des directeurs de communication. Les communicants publics ont souvent la volonté de parler à l'opinion avec le souhait, voire l'impératif, de ne pas être totalement orthogonaux au ministre et à ses communicants. Quelles sont vos attentes et vos conseils ?
Marylise Léon : Ce n'est pas vraiment un conseil mais à la CFDT, nous misons sur l'intelligence collective et individuelle des citoyens. Même lorsque les choses sont compliquées, il est possible de porter un message qui ne simplifie pas tout à l'extrême. J'insiste sur ce point : céder au slogan permanent, c'est appauvrir la réflexion et appauvrir le message. On ne peut pas se satisfaire d'un côté de slogans qui ne reflètent pas complètement la vérité, et vouloir de l'autre réconcilier les citoyens avec l'expression politique. Compter sur l'intelligence, c'est aussi satisfaire les attentes d'une société qui, j'en suis convaincue, attend de la cohésion et non une confrontation systématique, qui attend des vraies réponses concrètes et non des incantations.
Robert Zarader : Ces dernières semaines, j'ai participé à de nombreux débats autour de la réconciliation des Français avec la politique. La première chose qui me semble vraiment importante, c'est de repenser l'ordre des priorités et remettre la politique avant la communication. Je vais partager avec vous une anecdote. Une nuit que je ne daterai pas, un SMS arrive sur mon téléphone. Le matin, je le regarde : « Je vais prendre mes nouvelles fonctions prochainement, j'aurais aimé vous rencontrer avant. ». Cette personne arrive à l'agence pour un café, s'assoit en face de moi. Sa première phrase, c'est : « Monsieur, est-ce qu'il faut s'appeler Jordan ou Gabriel et avoir une belle gueule ou utiliser des mots comme dé-smicardisation pour faire de la politique ? ». Je lui réponds : « je ne suis pas sûr qu'il faille s'appeler seulement Jordan ou Gabriel et utiliser des mots que personne ne comprend. Peut-être que l'on peut revenir à l'idée que la politique porte d'abord des convictions. » Tant que nous serons dans ce type d'exercice, primaire, nous rencontrerons des difficultés.
Marylise Léon : Je suis tout à fait d'accord. J'ai par ailleurs le sentiment que ce phénomène s'accentue : pour beaucoup de responsables politiques, la communication ne semble plus être un outil au service de leurs idées et de leur vision. La communication est un exercice qui parfois les préoccupe et les occupe à 100 %. Et au bout d'un moment, cela finit par se voir. C'est important de pouvoir remettre les choses dans le bon ordre : un projet politique, des convictions, une vision qui se défend avec une bonne communication.
Synthèse réalisée par Bruno Walter
Penser la réconciliation
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