Restauration de Notre-Dame de paris : la communication, un facteur puissant de réussite

Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris

Philippe Jost

Président de l'établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris

Ces cinq années de chantier jusqu’à la réouverture, c’est l’acmé du grand Roman millénaire de Notre-Dame ?

Notre-Dame de Paris, c'est une histoire multiséculaire, avec ses pages glorieuses et plus dramatiques, ses hauts et ses bas. Indubitablement, nous avons vécu, et écrit, de nouvelles pages en ce début de XXIe siècle, inattendues à vrai dire, qui traduisent des moments dramatiques et glorieux. Mais dans cette grande histoire, les pages sombres sont toujours suivies de belles pages : après cette soirée du 15 avril 2019, où beaucoup ont craint de perdre Notre-Dame de Paris, nous avons eu le bonheur de vivre cette page magnifique : la réouverture de la plus emblématique des cathédrales françaises. Ce fut un moment de fierté et d'unité nationale, de rayonnement de la France à l'étranger, et de redécouverte d'une cathédrale plus belle que jamais.      

Quelle était votre feuille de route ?

En matière de communication, la loi Notre-Dame du 29 juillet 2019, qui a créé l'établissement public, nous a chargés d'informer sur le chantier et sur les savoir-faire œuvrant à la renaissance de la cathédrale. Les parlementaires étaient conscients que le monde entier avait été ému, que l'élan de générosité avait été immense¹, et qu'il y aurait une curiosité à nourrir sur le déroulement de la restauration. Il y avait aussi, au sein des assemblées - Sénat et Assemblée nationale -, une conscience que les métiers du patrimoine et les métiers d'art sont un bien précieux, une part de l'excellence française insuffisamment connue, que la transmission, la relève étaient insuffisantes. Les familles et les jeunes, parfois par défaut d'information, ne s'y dirigeaient pas spontanément. À partir de là et de notre mission principale - rouvrir la cathédrale en cinq ans -, la communication a été conçue d'emblée, par le général Georgelin et moi-même, comme une composante fondamentale de notre aventure.      

Communiquer sur le chantier : quels signaux forts ?

Je commencerai par vous parler du nom choisi pour notre établissement public : « Rebâtir Notre-Dame de Paris ». Il affiche clairement notre mission et notre raison d'être : nous rebâtissons Notre-Dame de Paris. Car nous sommes avant tout, dans cette affaire, des bâtisseurs. C'est la fierté et le sens de cette mission, ça embarque tout le monde dans un collectif. Ce à quoi nous avons veillé constamment dans notre communication, c'est de cultiver cette fierté et la reconnaissance de l'apport de chacun. Ce qui rejoint tout naturellement - et c'était cohérent - la mise en valeur des savoir-faire à l'oeuvre dans cette restauration, tous, sans en privilégier ni oublier aucun. Charpentiers, maçons-tailleurs de pierre, couvreurs, sculpteurs sur pierre et sur bois, menuisiers, restaurateurs et restauratrices de peinture, de pierre ou de sculpture, ferronniers d'art, doreurs, maîtres-verriers, facteurs d'orgues mais aussi agents de surveillance, échafaudeurs, grutiers, ingénieurs de maîtrise d'ouvrage ou architectes : chaque métier y avait sa place. La réussite collective passait par la réussite de chacun d'entre nous. Le moteur de notre communication, dans l'information sur le déroulement du chantier, a été de montrer l'engagement, la compétence, la fierté, l'épanouissement de ces compagnons, artisans, acteurs du chantier ; des hommes et des femmes en action, avec leur engagement, leur valeur ajoutée singulière. La préoccupation de mettre en valeur les métiers et les savoir-faire rejoignait notre volonté de mobiliser les hommes et les femmes, dans une même conviction que la réussite dépend de tous, dans l'unité et la solidarité. C'est ce qu'on a appelé « l'esprit Notre-Dame ». Il s'agissait pour nous de montrer à tous les acteurs du chantier qu'on comptait sur eux, qu'ils étaient précieux, qu'ils étaient la principale richesse de cette aventure. Nous n'avons eu de cesse de les remercier, de mettre en valeur ce qu'ils faisaient. Notre communication avait l'objectif d'embarquer tout le monde autour de l'esprit d'équipe et de la volonté de réussir ensemble, grâce au talent de chacun. Quand je dis talents, il y a bien sûr des gestes magnifiques, et nous n'avons pas manqué de mettre en relief la beauté des réalisations des compagnons et artisans d'art. Mais il y a aussi des gestes d'apparence plus modeste, mais tout aussi décisifs, ceux des métiers de l'ombre. L'échafaudeur qui met du cœur à l'ouvrage, l'électricien qui assure la sécurité incendie, le restaurateur qui redonne vie à des peintures encrassées depuis 150 ans. Tout cela mérite reconnaissance.       

On pense aussi au général Georgelin, qui a piloté cette mission, tragiquement décédé en août 2023. Facile de marcher dans les traces qu’il avait laissées ?

Du point de vue des personnalités, des caractères, nous étions très différents. Mais dans les axes de communication, comme dans les axes de pilotage et d'animation de cette aventure, nous étions parfaitement alignés. Lui succéder a été facilité par le fait que je l'avais rejoint dès la semaine qui a suivi l'incendie. Nous avions cette même conscience que le facteur humain était crucial. Pour réussir un tel défi, l'humain est essentiel, décisif, comme lorsqu'une équipe veut gagner une médaille d'or dans une compétition sportive.      

Concrètement, votre communication vers les différentes cibles, les mécènes, les artisans, le grand public, l’Église, est restée la même ?

Oui. Bien sûr, nous avons multiplié les vidéos, les prises de vue pour les réseaux sociaux, les séries thématiques autour des opérations et des métiers du chantier. Et, grâce à l'expertise et au savoir-faire de Connaissances des Arts et au mécénat du groupe LVMH, le chantier a bénéficié d'une revue dédiée de 116 pages, La Fabrique de Notre-Dame², dont les huit numéros offrent une plongée au cœur des travaux qui ont conduit en cinq ans à la réouverture de la cathédrale. Ce n'est pas une revue technocratique, ultra-technique ou à la gloire des dirigeants, mais à la gloire de ceux qui « mouillent la chemise » tous les jours sur le chantier. Il y a bien sûr eu des vecteurs dédiés à destination de différentes cibles : par exemple, les expositions présentées sur les palissades de chantier, mais également une lettre d'information envoyée tous les deux mois aux mécènes et donateurs, ou encore une mallette pédagogique conçue pour le corps enseignant et les personnels éducatifs à l'intention de leurs élèves. Mais dans le fond, les messages restaient les mêmes. Un post Instagram ne ressemble certes pas à une revue de 116 pages, mais le message général de communication était le même pour tous, quels que soient les supports sur lesquels ils étaient déclinés.      

Quelle méthode dupliquer, quels conseils donner, pour assurer la communication d’un autre chantier d’une telle ampleur ?

Le premier conseil, c'est que la communication est essentielle. Ce n'est pas une coquetterie ou un luxe : c'est un élément puissant de la réussite. Le deuxième, c'est qu'elle doit refléter des choses vraies. Elle doit être le reflet de ce qu'on vit, et pas autre chose. Une communication n'a de sens et ne fonctionne que si elle reflète quelque chose d'authentique et de sincère. Ce n'est pas un habillage plaqué parce qu'on pense que c'est ce qu'il faut donner à voir, ou parce qu'une société de conseil en communication nous l'aurait prescrit. Dans notre cas, les messages de communication n'ont été que le reflet de notre intuition et de nos convictions : la communication réussissait parce qu'elle disait des choses vraies sur ce qui se passait, en mettant en relief ce qui nous paraissait être les conditions mêmes de la réussite.

Mais je ne veux pas terminer sans avoir rappelé une autre chose simple, parce que la communication porte aussi quelquefois cette ambiguïté : quand on a une mission de service public, une mission confiée par l'État, on doit servir la mission que l'on porte, non se servir soi-même. Pour la communication, c'est la même chose. Elle est faite pour servir. Gardons toujours cela en tête.

Suivez l'actualité du chantier sur @rebatirnotredamedeparis, Facebook, Instagram, YouTube, rebatirnotredamedeparis.fr      

1- 340 000 donateurs issus de 150 pays ont permis de recueillir un peu plus de 840 millions d'euros de dons, NDLR 

2- 12€ (l'intégralité des bénéfices sera reversée au projet de restauration) en vente dans les librairies, réseau FNAC et boutiques de musées